Après plus de deux ans de concertation et la présentation du rapport « Delevoye », le gouvernement a tranché et dévoilé son avant-projet de loi instaurant un système universel de retraite. Quel regard d’ensemble la CFTC porte-t-elle sur le texte ?
Ce texte s’inspire pour une bonne part des propositions issues du rapport « Delevoye ». Tout au long de cette concertation, la CFTC a été force de proposition pour bâtir un régime universel des retraites plus équitable et plus solidaire, plus adapté aux réalités du monde du travail et de l’époque. Consciente des défis posés par la démographie et les difficultés d’accès et de maintien en emploi. Consciente également des injustices de l’actuel système, la CFTC a dit qu’elle était favorable au principe d’une réforme et elle maintient ce choix. Il en va aussi de la pérennité de notre système de retraite.
Le changement fondamental c’est le passage d’un système en annuités à un système par points, pourquoi accepter un changement si profond ?
Dans le monde du travail tel qu’il se dessine, un système par points (dont le principe existe déjà dans plusieurs des 42 régimes de retraite) a sa raison d’être ! On peut le regretter mais l’avenir du travail ne ressemble plus à la norme d’hier, à savoir une carrière linéaire chez le même employeur avec le même statut jusqu’à ce que « retraite s’ensuive ». Si le système actuel a fait ses preuves dans le monde d’hier, il sera de moins en moins adapté, efficace et de plus en plus injuste dans le monde de demain.
Le système par points a le mérite de comptabiliser des droits dès le premier jour travaillé, et ce, dès le plus jeune âge. Beaucoup semblent l’avoir oublié : le système actuel de validation des droits via la durée d’assurance, les fameux trimestres, conduit à ce que des personnes travaillent, payent des cotisations sans obtenir de droits en retour. Il faut avoir perçu une rémunération équivalente à 150 heures payées au niveau du SMIC pour valider un trimestre et des droits. Les travailleurs précaires malheureusement abonnés aux mini jobs peu payés et à durée ultra courte peinent aujourd’hui à se constituer une retraite. Au final, ils travaillent jusqu’à 67 ans, âge actuel de suppression de la décote, avec une espérance de vie moindre le moment venu de la retraite parce qu’ils ont aussi connu les carrières les plus pénibles. C’est d’abord pour ces travailleurs que la CFTC valide le principe d’un régime universel par points !
La CFTC souhaitait un système pérenne plus lisible, plus équitable, plus solidaire … cette approche est-elle transcrite dans le texte de loi ?
Le texte de loi comporte plus de 140 pages et plus de 60 articles. C’est un matériau extrêmement technique et complexe dont vous trouverez l’analyse que nous en faisons dans le tableau ci-joint. Il faut donc différencier l’esprit général qui se dégage du texte des détails apportés à telle ou telle mesure.
L’esprit général est globalement conforme à la vision et aux revendications de la CFTC lors des réunions de travail qui se sont tenues pendant plus de deux ans. Le texte garantit:
- Le maintien d’un système par répartition qui assure la solidarité entre les générations (art.1er) ;
- Le maintien des pensions actuellement versées ou encore les droits acquis avant l’instauration du futur régime (article 60) ;
- Une compensation des aléas de la vie personnelle ou professionnelle notamment les problèmes de santé, d’invalidité (article 42).
- Des nouveaux droits pour les aidants : Une vraie réponse à notre demande de reconnaissance des activités d’utilité sociale ou collective (article 43). C’est essentiel si l’on veut aller vers une meilleure prise en charge de la dépendance, le défi de notre siècle !
L’analyse du projet de loi met donc en avant de réelles avancées auxquelles la CFTC a largement contribué. Lors des débats, la CFTC était parfois seule à défendre en même temps une vision moderne de la protection sociale et des acquis qu’il nous semble indispensable de préserver.
Nous pensons ici à la pension de réversion, réellement menacée y compris par d’autres organisations syndicales et qui au final s’en trouve renforcée pour le plus grand nombre avec un système adapté aux réalités des familles d’aujourd’hui (article 46). Nous pensons aussi aux droits familiaux qui sont rénovés et qui bénéficieront désormais à beaucoup plus de familles (articles 44 et 45).
Au-delà de ces apports, notre lecture détaillée de plusieurs autres aspects nous conduit à souhaiter que le texte évolue.
L’AGE-PIVOT OU AGE D’ÉQUILIBRE
L’exécutif a rectifié son texte en remplaçant l’âge pivot par une conférence sur le financement … La CFTC a-t-elle pour autant été entendue ?
Pas totalement ! L’âge-pivot ou âge d’équilibre tel qu’il est dénommé dans le texte, est retiré uniquement dans sa version « court-terme ». Une version destinée à rééquilibrer les comptes à horizon 2027. Il n’entrera pas en vigueur en 2022 tel que le texte le prévoyait dans son article 56 bis. Le nouvel article 56 bis ne fait plus mention de l’âge d’équilibre mais annonce une conférence sur le financement pour trouver les moyens de garantir l’équilibre financier du système de retraite d’ici 2027. A cette occasion, la CFTC remettra sur la table des solutions alternatives de financement qu’elle a été la première à formuler et dont certaines sont aujourd’hui reprises par nombre d’acteurs syndicaux et politiques. Parmi ces solutions :
- L’utilisation d’une partie du Fond de réserve des retraites (FRR) ;
- La fin des exonérations fiscales de certains produits individuels d’épargne-retraite qui profitent aux plus hauts revenus ;
- La mobilisation d’une partie du produit de la CRDS à partir de 2024 (date d’extinction de la dette sociale pour laquelle la CRDS a été créée) pour financer les droits « retraite » ouverts aux aidants.
- Le renforcement des pénalités financières pour les entreprises qui ne respectent pas leurs obligations en matière de pénibilité et d’égalité professionnelle femmes-hommes. Le fléchage de ces sommes vers le système de retraite universel doit être garanti.
- Une politique digne de ce nom en matière de conditions de travail et santé au travail ! réparer, c’est bien… prévenir c’est mieux ! Près de la moitié des actifs de 55 ans et plus restent aujourd’hui en dehors du travail. Conduire les actifs à 60 ans et plus en bonne santé, c’est abonder, via les cotisations, les caisses du régime de retraites, c’est aussi réduire les dépenses en matière d’accident et maladies du travail, en matière également d’assurance maladie.
En revanche, dans le nouveau système qui entrera en vigueur en 2025, la notion d’âge d’équilibre n’a pas disparu du projet de loi. L’âge d’équilibre demeure un paramètre à fixer par la caisse nationale gestionnaire du système universel de retraite. Il est susceptible d’entrainer une minoration de pension dès lors qu’il ne sera pas atteint. Par ailleurs, il devient un « âge de référence » autour duquel beaucoup de dispositifs s’articulent (article 10).
La CFTC est favorable à la notion d’équilibre. En futur gestionnaire de la future caisse nationale des retraites, et forte de l’expérience menée en AGIRC-ARRCO avec les seuls partenaires sociaux nous nous devons de garantir l’équilibre financier du système dont dépend sa pérennité et la confiance des cotisants. L’équilibre du système passe aussi par sa simplicité, sa lisibilité et les possibilités de choix qu’il ouvre aux assurés de partir plus ou moins tôt, à temps plus ou moins partiel, de reprendre ou non une activité après avoir liquidé sa retraite. C’est un peu la « retraite à la carte » telle que défendue par la CFTC.
Ce qui pose problème, c’est que l’âge d’équilibre conçu comme LA référence tire vers le bas les principaux mécanismes de solidarité.
Un exemple avec les carrières longues (article 28) : Le dispositif est maintenu mais un âge d’équilibre, fixé à 64 ans, entrainerait pour les assurés concernés un report de l’âge de départ en retraite sans décote à 62 ans. Par ailleurs, ils subiraient une minoration de pension s’ils optent pour un départ à 60 ans (possibilité maintenue). Enfin, ils ne bénéficieraient du dispositif de surcote/majoration qu’à compter de l’âge d’équilibre soit 64 ans.
Autre exemple avec le minimum de pension (article 40) : Le texte stipule qu’il faut partir à cet âge d’équilibre pour en bénéficier et non plus 62 ans comme actuellement. Il faudrait, de plus, avoir validé une carrière complète (43 ans pour la génération 1975) pour bénéficier de 100% de ce minimum.
Pour les personnes concernées, les plus précaires, les carrières longues et/ou pénibles, partir à 62 ans deviendra un luxe qu’elles ne pourront s’offrir. Prévu de la sorte, l’âge d’équilibre pourrait neutraliser certaines des avancées sociales auxquelles la CFTC tient fermement.
De plus, le système de minoration/majoration tel que prévu par le projet de loi est un système pérenne. Avec ce système, les assurés les plus favorisés (carrières dynamiques, ascensionnelles) pourraient bénéficier à la fois d’un nombre de points élevé et d’une majoration importante, tandis que les assurés les moins favorisés (carrières longues, pénibilité) seraient pénalisés à la fois par un nombre de points réduit et par une minoration importante. La CFTC demande par conséquent que les effets de la minoration soient temporaires et non pérennes comme cela se pratique dans le système de l’AGIRC-ARRCO
LA PÉNIBILITÉ
La philosophie de la CFTC a toujours été de privilégier la prévention à la réparation en matière de pénibilité. De ce point de vue, certaines annonces faites hors projet de loi vont dans le bon sens (création d’un congé formation ; renforcer la négociation de branches). Elles sont en revanche insuffisantes si on les rattache à la problématique « retraites ». À partir d’un certain âge (55 ans et plus), la CFTC considère qu’il est trop tard pour prévenir (les expositions antérieures ont produit leurs conséquences néfastes irréversibles) ; il est également illusoire de se former en vue d’une reconversion en raison d’un principe de réalité évident.
Le projet de loi prévoit de déplafonner les droits liés à la pénibilité, pour pourvoir les utiliser sans limite, mais en les réservant à la formation ou à une fin de carrière à temps partiel (art.33). Nous proposons que ce déplafonnement soit utilisable dans sa totalité pour un départ anticipé à la retraite à partir de 60 ans, pour les travailleurs de 55 ans et plus qui n’auraient pas fait usage de leurs points sur leur C2P.
LA GOUVERNANCE
La CFTC souhaitait que les partenaires sociaux puissent agir sur les paramètres et les leviers de stabilisation du régime. Les partenaires sociaux devaient avoir la gestion des droits contributifs – acquis au titre de l’activité professionnelle – ces droits étant considérés comme du salaire différé – les partenaires sociaux ont toute légitimité pour contrôler ce système afin de garantir un bon niveau de vie aux retraités.
Tant la valeur d’acquisition/de service du point que leur revalorisation peuvent être décidées par le Conseil d’administration de la Caisse nationale de retraite universelle (article 9).
Ce pouvoir est toutefois trop strictement encadré. Le pouvoir exécutif a une prérogative de contrôle et, le cas échéant, de substitution à la délibération paramétrique de la Caisse. La marge de manœuvre apparente laissée à la caisse nationale est donc en réalité beaucoup trop réduite.
Il en va de même pour le titre IV de l’avant-projet de texte (articles 49 à 54) qui préfigure une transition brutale pour les organismes qui gèrent la retraite de base et complémentaire mais surtout pour leurs personnels.
La CFTC demande donc de revenir à la temporalité plus longue de 10 ans comme le préconisait le rapport Delevoye. Le schéma de transformation doit certes préparer le passage progressif à un système universel mais cela ne doit pas se traduire par une mise sous tutelle immédiate de l’ensemble des organismes de retraite des salariés du secteur privé qui n’ont pas démérité loin s’en faut.
Pour ces raisons, le texte n’est pas acceptable en l’état. Dans le cycle de concertation encore en cours, la Confédération travaille à l’évolution du texte auprès du gouvernement. Nos équipes dirigeantes (UR, UD, FD) sont invitées à agir auprès des parlementaires au moyen des arguments ou contre-propositions formulés dans la présente analyse.